Extrait n°5 - " Les Quatre Chemins "

Publié le par 4chemins

Mémé adorait suivre les enterrements, elle n’en ratait pas un, ça ne coûtait rien et comme le disait Verlaine « je ne sais rien de plus gai que les enterrements » mais Mémé ne m’a pas dit si elle avait connu Verlaine mais vu qu’elle était née en 1882 !  Ces enterrements, c’était l’occasion de rencontrer du monde, de discuter de tout et de rien, de rigoler un bon coup en se tenant en queue de peloton. Peut-être est-ce quelqu’un de la rue Jeanne d’Arc ou avenue de Bonneuil ou d’une autre rue avoisinante mais cet inconnu avait la chance de voir Mémé suivre son corbillard.

Elle aimait aussi les cimetières, elle allait défricher  les tombes et porter des fleurs qu’elle cueillait dans le jardin. Si elle voyait une tombe abandonnée, celle-ci avait droit à un ratissage ou même un binage gratuit.

La vie reprenait son cours normal, avec les courses chez les commerçants où le boulanger affichait les avis de décès dont Mémé se nourrissait.

Dans les rues, j’entendais la voix du marchand de carreaux qui portait sur son dos toute sa panoplie de travail, celle du marchand de peaux de lapins qui criait « peaux de lapins, peaux de lapins »

Souvenirs familiers et nostalgiques de mon enfance.

La barbe de Pépé, c’était toute une cérémonie. La glace pivotante, montée sur un grand pied en aluminium, le bol de savon, le récipient d’eau, le blaireau et son rasoir dans un étui en cuir comme un grand rectangle duquel il sortait une lame longue et effilée qu’il portait à son visage pour le rendre doux comme du velours et il terminait par une rincée d’eau de Cologne du Mont Saint Michel.

Pépé disait alors « qui va être la première à étrenner la barbe à Pépé » et je faisais tout pour être la première car sans cela je faisais la tête toute la journée à ma sœur Catherine.

Pépé était un homme d’une stature imposante, aux mains fortes de travailleur et une épaisse chevelure blanche.

Plus tard, il lui fallut un rond pour s’asseoir, une sorte de bouée qu’il plaçait sur sa chaise afin de pouvoir rester assis car à force d’être toujours assis, il avait mal au dos et ce rond lui faisait du bien. C’était sa place. C’était normal et respecté.

Je me souviens aussi que tonton Jacques mettait le masque à gaz que Pépé avait depuis la première guerre. Il nous faisait peur lorsqu’il passait sa tête ainsi déguisée derrière la fenêtre de la cuisine, on avait vraiment la frousse de voir ce masque au long nez.

Avant d’être gazé par les ennemis, Pépé était un des meilleurs ouvriers de France, il avait fait le tour de France des Compagnons pour apprendre le métier de charpentier. Métier et symbole à la fois, la charpente d’une maison c’est comme Pépé pour la famille, il faut que ce soit du solide.

 

Oeuvre protégée et enregistrée à la SGDL

 

.

Publié dans Extraits du livre

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article